Panorama de Paris depuis la lanterne du Panthéon
Photo © Etienne ACHILLE -2021

La Patrie reconnaissante

Avec le Peuple de France, rue Soufflot, Paris 5°

Evénement historique
artistique et politique

Joséphine BAKER est entrée au Panthéon le 30 novembre 2021, à cinq mois d’une élection présidentielle dont la pré-campagne est à ce jour principalement centrée sur les questions d’identité française. Cet évènement est donc plus qu’opportun, comme un symbole fort qui redonne sa pleine actualité à ce que Paris a été dans les années 1920-1930 : le centre mondial d’émergence d’une conscience Noire universaliste.

Le cénotaphe de Joséphine Baker porté par l’Armée de l’Air
Photos © Etienne ACHILLE – 30 novembre 2021

De même que le rôle précurseur des sœurs NARDAL dans ce mouvement est aujourd’hui en pleine redécouverte, la figure de Joséphine BAKER est mise à l’honneur par la France parce que elle parle :

  • d’une femme Noire,
  • de son refus de la ségrégation aux Etats-Unis d’Amérique,
  • d’un talent artistique hors normes,
  • de sa célébration des valeurs « nègres »,
  • de son engagement sans faiblesse dans la France libre contre le fascisme et la barbarie nazie,
  • et d’une communauté humaine, diverse et ouverte qu’elle a réalisée.

Nombre de ces valeurs ont été portées par Louis Thomas ACHILLE tout au long de son parcours d’intellectuel Noir. Lorsque, venu de la Martinique, il rejoint ses cousines NARDAL à Paris en 1926 pour y faire ses études, Joséphine BAKER est arrivée depuis un an dans la capitale. Elle y a déjà conquis une immense célébrité.

Antillais et Américains
à Paris

Auparavant, elle fut l’une des figures du music-hall de New York en pleine Harlem Renaissance. Ce mouvement fut théorisé en 1925 dans l’anthologie The New Negro d’Alain LeRoy LOCKE qui fut, lui, un visiteur assidu du salon des NARDAL à Clamart et devint un proche ami de L. T. ACHILLE dont il fut le mentor pour aller enseigner à Howard University (Washington, D.C).

L. T. ACHILLE, sa famille et ses cousines NARDAL assistèrent au moins à l’un des spectacles de Joséphine Baker, comme en témoigne la relation que fait l’écrivain Afro-Américain John H. PAYNTER(1) de sa soirée aux Folies-Bergère où l’emmenèrent les ACHILLE lors de son séjour à Paris :

John H. PAYNTER
aux Folies Bergère de Paris

Part of this crowd poured into the Folies, and as we drove up, from the flaming bill-board a gorgeously gay presentment of the star, Josephine Baker, greeted us in that charactcristic fly-away pose which seems to have captivated the whole Parisian world. In the crush of the lobby, M. Achil(l)e found his friend, M. Feral Benga(2) , a colored gentleman, who, himself, has been a star in many of the Bergere performances. He called an usher, who escorted us to our box.

The pit and galleries were already filled; life and mirth, articulate and compelling, had asserted their honeyed sway, and with the opening number of the orchestra, the scene before us took shape with these lines :

And the night shall be filled with music
And the cares that infest the day,
Shall fold their tents like the Arabs
And a silently steal away.

Traduit par les Enfants de Louis Thomas ACHILLE

Une partie de cette foule se précipita à l’intérieur des Folies, et alors que nous arrivions, de l’affiche incandescente, une présentation magnifique et gaie de la star, Joséphine Baker, nous accueillit dans cette pose d'envol caractéristique qui semble avoir captivé tout le monde parisien. Dans la cohue du hall, M. Achil(l)e a retrouvé son ami, M. Feral Benga, un gentleman de couleur, qui, lui, a été une vedette dans de nombreuses représentations de Bergère. Il a appelé une ouvreuse qui nous a escortés jusqu'à notre loge.
La fosse et les balcons étaient déjà combles ; la vie et la gaieté, mêlées et irrésistibles, avaient affermi leur emprise douce comme miel, et avec le premier numéro de l'orchestre, la scène devant nous prit forme avec ces paroles :

Et la nuit sera pleine de musique
Et les soucis qui infestent la journée,
Replieront leurs tentes comme les Arabes
En un vol silencieux.

Louis Thomas ACHILLE
collègue interprète de guerre
de Joséphine BAKER

Joséphine BAKER ne fréquenta pas le salon des NARDAL à Clamart, mais Louis Thomas ACHILLE, la rencontra plus tard, en Afrique du Nord.

Ecouter son témoignage

Louis Thomas ACHILLE conférence « Les Années folles » (extrait 01) Foyers de culture – Lyon – septembre 1984 – Fonds Louis Thomas ACHILLE

Engagé volontaire dans les Forces françaises libres en 1943 aux Etats-Unis, où il enseigna durant neuf ans, ses compétences linguistiques lui valurent d’être affecté au Deuxième bureau, dans le corps des interprètes en tant qu’officier de liaison avec les Alliés, à l’Etat-Major de l’Armée française de Libération, d’abord à Casablanca puis à Alger. C’est là qu’il rencontra Joséphine BAKER, affectée elle aussi dans le corps des interprètes, et comme on le sait désormais, chargée par ailleurs de missions secrètes de renseignement. Radio-Alger diffusait alors des succès de cette recrue si spéciale.

Cérémonie d’entrée de Joséphine Baker au Panthéon
Photos © Etienne ACHILLE – 30 novembre 2021

L’hommage
de Louis Thomas ACHILLE
à la mort de Joséphine BAKER
Avril 1975

Au-delà de l’exceptionnelle artiste, Louis Thomas ACHILLE restera marqué par la force et la dimension du personnage de Joséphine BAKER. Il l’exprimera dans un article qui lui avait été demandé par le quotidien lyonnais L’Echo-Liberté (édition du 16 avril 1975), à l’occasion du décès de la chanteuse le 12 avril 1975.

 

Manuscrit, tapuscrit et coupure de presse de L’Echo-Liberté
Article de L. T. ACHILLE – avril 1975
Montage par Les Enfants de Louis T.  ACHILLE

Les extraits suivants présentent une analyse de cette figure Noire dont l’identité s’est construite dans les épreuves et l’exigence, derrière la gloire des scènes, à l’époque même où naissait la Négritude.
Aux côtés de ses cousines Jane et Paulette NARDAL, de son ami Léopold Sedar SENGHOR, de son beau-frère Léon Gontran DAMAS et d’Aimé CESAIRE, Louis Thomas ACHILLE en fut l’un des acteurs.

par Louis Thomas ACHILLE
L’Echo-Liberté (édition du 16 avril 1975) – extraits

« …Les deux amours qu’elle a chantés sur la scène des Folies-Bergère et sur les haut-parleurs encore nasillards des phonos et radios de France ne sont pas tout à fait ceux qu’elle a vécus.

Son pays, ce fut non pas la savane d’Afrique mais la prairie américaine, à l’ouest de Saint-Louis du Missouri où elle naquit en 1906. Elle le quitta jeune encore, fuyant une existence pauvre et médiocre, traumatisée par les violents affrontements raciaux dont elle gardera l’horreur jusqu’à son dernier jour. En conservera-t-elle quelque secrète nostalgie ? Les tournées qu’elle y fit se heurtèrent à une certaine indifférence de la part du grand public américain, peut-être réticent devant cette Américaine de couleur sacrée vedette à Paris. De toutes façons, sur les scènes américaines, elle perdait beaucoup de son exotisme et de sa nouveauté, hormis son cachet parisien. Ses propres congénères n’avaient guère lieu de s’émerveiller de talents assez commun parmi eux, quand ils ne lui enviaient pas sa gloire parisienne. Discrimination, préjugés et barrière de couleur lui faisaient un opprobre de ce même teint bronzé qui avait charmé Paris. Elle en fut sans doute confirmée dans sa volonté d’exil volontaire, d’expatriation, qui la rendit plus tard si sensible au sort d’enfants apatrides.

Joséphine se choisit donc une patrie, celle-là même qui l’avait adoptée : Paris-sur-Seine. Mais elle eut, semble-t-il, deux passions véritables : la scène et la France. La première lui révéla sa personnalité, devint son gagne-pain, sa gloire et sa mort… ».

« … à l’imitation de la vedette noire, les jeunes élégants se plaquaient les cheveux avec de la Gomina Argentine ou du Bakerfix, eux, dont la chevelure non crépue n’avait pas besoin d’être défrisée, ni gominée pour tenir en place, à la différence des Noires Américaines, dans cette période lointaine antérieure à la mode « afro », réhabilitation du cheveu nègre.

 

Objets « Joséphine BAKER » à l’exposition « Portraits de France » – Musée de l’Homme – Photo © Etienne ACHILLE – 3 décembre 2021

C’est aussi l’époque où, dans ce climat parisien si universel, des intellectuels noirs de diverses colonies et de pays étrangers se rencontraient, découvraient leur commune origine africaine et leur originalité raciale, leur diversité culturelle et linguistique, l’aliénation et l’exploitation aussi bien que la promotion. Le Batouala (prix Goncourt (3) 1921) de René Maran, était un signe annonciateur (« Evolution », « européanisation », « Assimilation »), résultant de la colonisation. Atour de La Revue du Monde Noir, de L’Etudiant Martiniquais devenu L’Etudiant Noir et de Légitime Défense, une conscience se formait qui prit nom « négritude…
C’était enfin la vogue de l’art nègre, qui devait inspirer des peintres tels que Picasso, Modigliani, etc. et du jazz, formes d’art qui révolutionnaient les conceptions esthétiques d’Occident.

Pour n’avoir pas été associée à ces rassemblements, ni même associée aux milieux parisiens de couleur, Joséphine Baker n’en a pas moins contribué à lutter contre les préjugés de couleur parmi un public beaucoup plus vaste, pour lequel elle a dissocié « noir » de « ridicule ». Sans donner dans la « négritude », elle donna une autre solution au problème de son appartenance humaine. Déracinée des Etats-Unis, sans aucuns liens avec l’Afrique de ses lointains ancêtres, elle adopta Paris et la France. Non point tant la province française, mal placée pour accueillir les spectacles un peu trop dénudés ou par trop somptueux ; mais la France universelle dont Paris est l’esprit. C’était aussi choisir le monde entier. Fuyant la ségrégation américaine, elle voulut sans doute être « une femme » tout court – et au surplus, elle devint une grande vedette. Au-delà de la négritude, qu’elle servit en actes plus qu’en paroles ou en écrits, elle opta pour l’humanité que l’adoption de onze enfants de races diverses, allait rassembler sous son aile, dans ce domaine des Milandes, château de la Dordogne, dont la décoration et le train de vie pouvaient parfois faire penser aux somptueux décors familiers de la vedette. Elle chercha à y réaliser une fraternité universelle… »

Paulette NARDAL lut l’article de son cousin Louis Thomas ACHILLE. Dans une lettre qu’elle lui adressa de Fort-de-France le 11 mai 1975, elle lui dit avoir « beaucoup apprécié l’article qui retrace bien l’atmosphère des années où l’art Nègre triomphait ».

« Les Années folles »

En septembre 1984, Louis Thomas ACHILLE a donné une conférence aux Foyers de culture – Maison des Associations Culturelles de Lyon (MACLY) sur le thème : « Les Années folles ».

Il évoque le souvenir de ce que représenta le « phénomène Joséphine BAKER » dans le contexte des années 1920-30.

Les extraits audio inédits proposés ici, relatifs à Joséphine BAKER, en donnent le ton.

Ecouter son témoignage

Louis Thomas ACHILLE conférence « Les Années folles » (extrait 02) Foyers de culture – Lyon – septembre 1984 – Fonds Louis Thomas ACHILLE

Autre approche de la négritude

Enfin, il met en miroir les rôles de Joséphine BAKER et de ses propres cousines NARDAL, également présentes à Paris pendant les « Années folles » pour leurs études supérieures, en proposant une approche originale de la négritude par la féminité.

Ecouter son témoignage

Louis Thomas ACHILLE conférence « Les Années folles » (extrait 03) Foyers de culture – Lyon – septembre 1984 – Fonds Louis Thomas ACHILLE

https://www.monuments-nationaux.fr/Actualites/Josephine-Baker-au-Pantheon

Intérieur du Panthéon, Paris – Photo © Etienne ACHILLE – mai 2021

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Paulette et Jeanne NARDAL aux côtés de Joséphine BAKER dans l’exposition « PORTRAITS DE FRANCE » au Musée de l’Homme en 2021-22

Notes

(1) Fifty Years After, Margent Press, New York, 1940.

(2) Feral BENGA eut une carrière exceptionnelle dans la danse et le cinéma. Il fut également l’un des modèles du sculpteur Afro-Américain Richmond BARTHE, ami de Louis Thomas ACHILLE, artiste de la Harlem Renaissance et premier artiste Afro-Américain à figurer dans les collections du Whitney Museum of Art de New York. Son œuvre fut notamment commentée par Alain LOCKE. L’une de ses sculptures a été présentée dans l’exposition de référence « The Color Line – Les artistes Africains-Américains et la ségrégation » en 2016 au Musée du Quai Branly (v. catalogue p. 145. Ed. Flammarion, 2016).

(3) Batouala, Prix Goncourt 1921.
Exactement un siècle plus tard, le jury décerne le Prix Goncourt 2021 au Sénégalais Mohamed Mbougar SARR pour La Plus Secrète Mémoire des hommes (Philippe Rey/Jimaasan, 2021)

 

ECRIRE LE MONDE NOIR – Paulette NARDAL

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