2025 continue à s’affirmer comme une année particulièrement riche pour l’actualité des sœurs Nardal et de Louis Thomas Achille. Une concentration d’évènements permet d’entrer plus avant dans les parcours et traces laissés par ces figures martiniquaises ; jugez plutôt :
- Exposition Paris Noir
- Exposition Corps et âmes
- Exposition solo majeure de Frank Bowling : Collage
- Symposium Gendered Identities, Racialized Spaces
- Conférence avec Daniel Maximim / Jean-Louis Achille / Cécile Achille
La liberté, la fraternité et les arts en héritage - Ciné-Récital Les sœurs Nardal – Les oubliées de la négritude
Film de Marie-Christine Gambart – Récital avec Cécile Achille / Jeff Cohen - Inauguration de la place Frantz Fanon à Lyon
- Paulette Nardal, une statue d’or, à Paris
- Conférences-débats pour l’Education nationale à Lyon :
« Des racines de l’esclavage à la voix des pionnières : Les sœurs Nardal »
dans le cadre du parcours Sur les traces de l’esclavage, libre de couleur – Femmes en esclavage.
EXPOSITION PARIS NOIR
CIRCULATIONS ARTISTIQUES ET LUTTES ANTICOLONIALES 1950-2000
CENTRE POMPIDOU, PARIS
19 mars – 30 juin 2025
Paris noir fera date. Non pas comme la dernière exposition présentée dans les fameuses galeries du 4ème étage du Centre Pompidou avant sa fermeture pour travaux jusqu’à 2030, mais parce que jamais jusque-là une grande institution culturelle nationale n’avait donné à voir la création des si nombreux artistes Noirs ayant noué depuis si longtemps des liens forts et durables avec Paris.
L’exposition démontre comment la capitale a aimanté ces artistes. D’abord un refuge pour les uns, ils y étaient libres de s’exprimer, de rencontrer qui bon leur semblait et de pouvoir tout simplement s’asseoir à une terrasse du Quartier latin pour prendre un café et l’air de Paris. Pour d’autres, la capitale était un environnement d’une exceptionnelle intensité artistique, un creuset des avant-gardes. Et pour tous enfin, vivre et créer ici était une pure évidence.
Quelles que soient les controverses auxquelles elle a donné lieu – ce qui est aussi un signe de son impact – l’exposition s’ouvrait sur un mur situant son propos qui s’ouvre dès l’immédiat après-guerre, au moment de la fondation de Présence Africaine en 1947. Le mouvement que fédère la revue et les éditions éponymes cristallise les avancées de la conscience noire débutées avec le siècle et qui prirent une dimension nouvelle dans les années 20 avec les sœurs Nardal et leur « salon » de Clamart pour culminer avec l’invention du mot « négritude » en 1935 par Aimé Césaire aux côtés de Léopold Sédar Senghor et de Léon Gontran Damas.

Au centre du mur d’entrée de l’exposition figurait la célèbre photo du Congrès des écrivains et artistes noirs de 1956 à la Sorbonne. Louis Thomas Achille, représentant la Martinique, s’y trouve avec les Antillais Césaire, Fanon et Glissant. Il y occupe la place qui est la sienne, depuis la fin des années 20, avec ses cousines Nardal, au cœur du cercle de la négritude qui accueillait déjà à Paris, vingt ans avant Présence Africaine, la fine fleur des intellectuels et artistes afro-américains comme leurs homologues d’Afrique et des Caraïbes.
En 1956, Louis Thomas Achille est rentré en France depuis déjà 10 ans après plus d’une décennie (1934-1943) d’enseignement aux Etats-Unis à Howard University (Washington, D.C.) et Atlanta University (Géorgie). Il en a rapporté les Negro Spirituals qu’il chante avec sa chorale – le Park Glee Club® – créée en 1948 et qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1994 pour porter le message libérateur de ces chants d’esclaves. Au premier Congrès des écrivains et artistes Noirs organisé en 1956 à La Sorbonne par son ami Alioune Diop, fondateur de Présence Africaine, Louis Thomas Achille marquera les esprits en interprétant I Will Walk[1], le Negro Spiritual qu’il vient de composer à Lyon où il vit alors, en hommage au boycott victorieux des transports publics de Montgomery (Alabama), l’un des jalons majeurs de la lutte pour les droits civiques.
Nombre d’œuvres présentées dans l’exposition Paris noir témoignent de ce lien intime avec la ville-lumière. Paris le soir (Thomas H. and Diane DeMell Jacobsen PhD Foundation) résume tout l‘attachement profond à Paris de la peintre Loïs Mailou Jones, figure du mouvement de la Harlem Renaissance et première Afro-Américaine admise au sein de la Société des artistes de Washington en 1995.
Elle vient en 1937 suivre les cours de l’Académie Julian à Paris et est accueillie par Louis Thomas Achille ; elle peint un portrait de sa cousine Jane Nardal récemment dévoilé dans l’exposition Project a Black Planet: The Art and Culture of Panafrica à l’Art Institute de Chicago (15 décembre 2024–30 mars 2025)[2].
C’est aussi à Paris qu’elle rencontre le peintre Wifredo Lam[3]. Lors de sa décennie américaine, Louis Thomas Achille suit les cours de peinture de Loïs Mailou Jones à Howard et une amitié profonde les unira, notamment nourrie d’une correspondance fidèle, jusqu’à la fin de leurs vies.
L’œuvre de Loïs Mailou Jones est célébrée dans nombre d’expositions. La plus récente fait référence : The Harlem Renaissance and Transatlantic Modernism au Metropolitan Museum of Art de New York (25 février-28 juillet 2024).; les liens de la peintre avec Louis Thomas Achille sont soulignés dans le catalogue[4] édité par la commissaire, Denise Murrell.
Cette dernière avait également imaginé Posing Modernity: The Black Model from Manet and Matisse to Today à la Wallch Art Gallery de l’université Columbia (24 octobre 2018-10 février 2019) devenue Le Modèle noir de Géricault à Matisse au Musée d’Orsay (26 mars-21 juillet 2019), exposition-évènement qui marque l’un des tournants dans la reconnaissance du fait Noir dans l’Histoire de l’art. Les sœurs Nardal et La Revue du monde Noir y figuraient en bonne place[5].
S’il était besoin, Paris a confirmé en 2025 – un an après le centenaire du Surréalisme où l’on sait le rôle majeur qu’a joué l’art dit nègre comme le confirment, par exemple, les multiples œuvres d’art africain du fameux « mur » de l’atelier d’André Breton – son statut de « Paris noir » par une simultanéité d’événements (au-delà du riche programme d’accompagnement de l’exposition), brillants échos de Paris noir.
Parmi ceux-ci :
- l’exposition Corps et âmes à la Bourse de Commerce-Pinault Collection a présenté une sélection exceptionnelle des meilleurs artistes afro-américains contemporains dont le peintre Kerry James Marshall, les plasticiens David Hammons et Kara Walker, les photographes Deana Lawson, Carrie Mae Weems, Latoya Ruby Frazier et Lorna Simpson, et Arthur Jafa dont la vidéo majeure Love Is The Message, The Message Is Death était présentée en majesté dans la grande rotonde centrale ;
Love Is The Message, The Message Is Death, œuvre d’Arthur Jafa
Bourse de Commerce-Pinault Collection, Paris (photo ©Etienne ACHILLE 2025) - la première exposition solo majeure de Frank Bowling : Collage à la galerie Hauser & Wirth de Paris. Reconnu par les plus grands musées (Museum of Fine Arts Boston, Museum of Modern Art de New York, The Metropolitan Museum of Art de New York et la Tate Britain qui lui a consacré une rétrospective en 2019) et collectionneurs mondiaux, l’artiste britannique né au Guyana et anobli au Royaume-Uni y trouvait une reconnaissance parisienne en y déployant ses grands formats colorés, abstraits et puissants.
Symposium
GENDERED IDENTITIES, RACIALIZED SPACES | IDENTITES GENREES, ESPACES RACIALISES[1]
REID HALL, COLUMBIA GLOBAL CENTERS PARIS
22-23 mai 2025
Organisée à l’initiative du collectif Black / France / Noire en partenariat avec de nombreuses institutions[2], le concept de cette journée était le suivant :
« Les études sur les “Noirs” en France constituent un domaine à la fois vaste et ouvert qui mérite d’être exploré selon plusieurs axes de recherche. L’une des questions les plus captivantes qui émerge de ce champ est celle de l’intersection entre la race et le genre, qui a depuis longtemps façonné l’expérience vécue des femmes, filles et personnes non-binaires “noires” françaises. Le symposium inaugural BLACK | FRANCE | NOIRE propose un ensemble de tables rondes qui abordent cette question sous divers angles, parmi lesquels l’histoire intellectuelle, les médias, les arts, les arts de la scène, l’activisme, la production de récits et le sport »[3].

(photo ©Etienne ACHILLE 2025)
Une « soirée Nardal » le jeudi 22 mai a permis de présenter la figure de Paulette Nardal au cours d’un dialogue entre les universitaires Brent Hayes Edwards, Eve Gianoncelli, Kaiama Glover et Grégory Pierrot, et la journaliste et écrivaine Léa Mormin-Chauvac[4]. L’un des enfants de Louis Thomas Achille a fait une lecture d’une lettre de Paulette Nardal.
Deux événements Nardal à Irigny
CONFERENCE-DEBAT
La liberté, la fraternité et les arts en héritage
avec Daniel Maximin / Jean-Louis Achille / Cécile Achille

Le Sémaphore, Théâtre d’Irigny
15 avril 2025
On peut hériter de patrimoine immobilier, d’un vêtement, d’un meuble. Dans la famille Achille-Nardal ce sont des histoires mais aussi des idées : la fraternité, la foi dans l’art, comme outil de dialogue, la défense de la liberté. A travers ses archives de leurs ancêtres antillais, la famille Achille-Nardal aide aujourd’hui historiens, journalistes et institutions culturelles à écrire les pages de l’histoire de la lutte contre le racisme au 20ème siècle.
Invité exceptionnel, le poète guadeloupéen Daniel Maximin a décrit le contexte dans lequel ces nouvelles idées ont émergé.
Une soirée qui a permis de mieux connaître le mouvement littéraire de la négritude, la passion pour la transmission, l’histoire familiale qui rencontre l’histoire mondiale.
CINE-RECITAL
LES SŒURS NARDAL – LES OUBLIEES DE LA NEGRITUDE
Le Sémaphore, Théâtre d’Irigny
23 mai 2025
A la suite de la conférence introductive de Daniel Maximin, Jean-Louis Achille et Cécile Achille, cette dernière a donné avec Jeff Cohen au piano un récital dédié aux musiques qui résonnent avec l’histoire des sœurs Nardal.
Ce récital voix-piano a été créé au Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique à Fort-de-France en 2023 dans le cadre d’un hommage à Paulette Nardal. Il est produit par la compagnie irignoise The Many Voices créée par Cécile Achille. Il se veut « la bande-son du parcours de ces femmes, la source à laquelle se sont abreuvé leurs combats. Un hommage à ce que permit la musique de cette époque : dénoncer les injustices, fêter et s’élever »[1] grâce à des œuvres de Milhaud, Tchaïkovski, Debussy, Ravel, Gershwin, Meeropol, Smith-Moore, Bonds, Achille, Nardal et de Negro Spirituals.
Conçu pour accompagner le documentaire Les sœurs Nardal – Les oubliées de la négritude réalisé par Marie-Christine Gambart et co-écrit avec Léa Mormin-Chauvac projeté en première partie, le récital crée une succession d’atmosphères graves, heureuses ou dansantes qui plongent le public au cœur des années 20 et 30 du Paris de la Négritude, mais aussi dans les ambiances des musiques américaine et russe qui ont tant compté dans la construction intellectuelle et sensible des sœurs Nardal et de leur cousin Louis Thomas Achille.
PAULETTE NARDAL, UNE STATUE D’OR A PARIS
Enfin, en cette rentrée, la statue dorée de Paulette Nardal qui avait émergé de la Seine au cours du tableau « Sororité » de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques PARIS 2024[1] est désormais installée, avec les 9 autres femmes illustres, rue de la Chapelle à Paris (XIXème).

« Leur apport au monde, parfois méconnu, souvent atténué ou injustement omis,
est désormais inscrit dans l’espace public » Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies des Jeux Olympiques de PARIS 2024.
DES RACINES DE L’ESCLAVAGE
A LA VOIX DES PIONNIERES :
LES SŒURS NARDAL
Dans le cadre du parcours « Sur les traces de l’esclavage, libre de couleur » l’académie de Lyon a sollicité cet automne les descendants de Louis Thomas Achille, petits-cousins des sœurs Nardal, pour deux interventions auprès de lycéens et collégiens (DAAC – Délégation Académique à l’éducation artistique et à l’Action Culturelle).
Objectifs pédagogiques :
- faire progresser la connaissance sur la traite et l’esclavage, les résistances qu’ils ont suscitées et le combat pour leurs abolitions
- Comprendre, partager et respecter les valeurs humanistes de solidarité
- Lutter contre les discriminations, le racisme, les préjugés
- Découvrir les héritages musicaux et chorégraphiques en lien avec l’esclavage
- Utiliser des techniques d’expression artistique pour transcrire des connaissances historiques
- Exprimer une émotion esthétique et un jugement critique à travers la création artistique
- Susciter le débat et les rencontres pour favoriser l’esprit critique
En lien avec le concours « La Flamme de l’Egalité« .
[1]Voir la vidéo de la statue de Paulette Nardal à 3mn15 sur https://www.paris.fr/pages/dix-femmes-mises-a-l-honneur-sur-la-rue-de-la-chapelle-31744 et la présentation des statues des femmes illustres.
[1] Source : site Internet de The Many Voices.
[1] https://blackfrancenoire.my.canva.site/collectif-black-france-noire#the-program
[2] African American and African Diaspora Studies Department, Columbia University / African American Studies Department, Yale University / Africana Studies Program, Northeastern University / Center for Black European Studies and the Atlantic, Carnegie Mellon University / Columbia Global Paris Center, Columbia University /
Institute for Social and Economic Research and Policy, Columbia University /Les Encres de l’Atlantique / Journée Africana-Association Black History Month / Maison du Parc Centre Culturel et Maison des Arts / Society of Fellows and Heyman Center for the Humanities, Columbia University
[3] Source : organisation.
[4] Autrice de Les sœurs Nardal – À l’avant-garde de la cause noire, préface d’Alain Mabanckou, éditions Autrement, Paris, 2024.
[1] Intervention de Louis Thomas ACHILLE à 7 :36 :56 dans l’audio sur le site de l’INA.
[2] Cartel présentant le tableau : « Lois Mailou Jones made this painting shortly after arriving in Paris, where she joined a thriving community of Black expatriate artists, musicians, and writers, including Martinican intellectual Jeanne (Jane) Nardal. Here, Nardal’s direct gaze and serene expression convey her resilience and self-determination, Pan-African ideals amplified by the work’s chromatic symbolism. Not only is Nardal attired in the red, black, and green colors of the Pan-African flag, but she appears before a striated background of skin-tone browns that equate Blackness with epidermal diversity. Jones’s portrait pays fitting tribute to a thinker whose writings had widespread influence. ».
Traduction indicative : « Lois Mailou Jones a réalisé ce tableau peu après son arrivée à Paris, où elle a rejoint une communauté florissante d’artistes, de musiciens et d’écrivains noirs expatriés, dont l’intellectuelle martiniquaise Jeanne (Jane) Nardal. Ici, le regard direct et l’expression sereine de Nardal traduisent sa résilience et la détermination de son être, des idéaux panafricains amplifiés par le symbolisme chromatique de l’œuvre. Non seulement Nardal est vêtue des couleurs rouge, noir et vert du drapeau panafricain, mais elle apparaît devant un fond strié de bruns, carnations qui associent la noirceur à la diversité épidermique. Le portrait de Jones rend un hommage mérité à une penseuse dont les écrits ont eu une influence considérable ».
Informations recueillies par Brent Hayes Edwards, Peng Family Professor of English and Comparative Literature, Department of English and Comparative Literature, Columbia University, New York.
[3] V. l’article Trois routes vers Paris : Wifredo Lam, Loïs Mailou Jones et Iba N’Diaye de Lowery Stokes Sims dans le catalogue Paris noir, p.27, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2025
[4] P. 111. The Harlem Renaissance and Transatlantic Modernism, éditions The Metropolitan Museum of Art, New York, 2024.
[5] P.276 du catalogue Le Modèle noir De Géricault à Matisse, Muse d’Orsay et de l’Orangerie / Flammarion, Paris, 2019.)