Au printemps 2018 , le père Christian Delorme, curé de l’ENSEMBLE PAROISSIAL SAINT-ROMAIN – SAINTS-CÔME ET DAMIEN à Caluire-et-Cuire (Rhône), a présenté, avec Michel Chomarat à la Bibliothèque Municipale de Lyon, l’exposition intitulée :
« Martin Luther King Le rêve brisé ?«
Parmi les figures évoquées autour du pasteur baptiste assassiné à cause de son engagement non-violent pour les droits civiques des Noirs-Américains, la personne de Louis Thomas ACHILLE était évoquée avec le portrait ci-dessus.
Une fois l’exposition terminée, le père Delorme offrit aux descendants de Louis Thomas la photo encadrée, accompagnée du témoignage suivant :
Louis Thomas ACHILLE aura été un des personnages de ma jeunesse… mais je n’ai su que tardivement qui il était, et n’avoir pas pu rattraper le temps perdu reste pour moi un grand regret.
De l’anecdote à la découverte
Une partie de ma famille étant originaire des Monts-d’Or, la plupart des miens sont enterrés depuis la fin du XIXème siècle dans le cimetière de Limonest. De ce fait, durant de très nombreuses années, j’ai vécu le même rituel familial chaque premier novembre. Nous nous retrouvions pour nous recueillir devant les tombes de la famille Delorme en fin de matinée, puis nous allions déjeuner, avec ma mère et ma sœur jumelle, ma marraine, ma grand-mère, une grande-tante et un grand-oncle, au restaurant « Les Platanes » situé dans la grande rue de cette commune. Et chaque année, alors que nous étions déjà à table, nous voyions arriver une famille « en noir et blanc », appartenant de toute évidence à milieu fort éduqué. Il y avait toujours, de la part de mes parents, un cordial et discret geste de salutation à notre égard, mais sans plus. Un certain « mystère » qui n’a commencé à se dévoiler que le jour où, par mégarde, le papa de cette famille s’est trompé d’imperméable, revêtant en partant celui de mon grand-oncle Jean, avoué de profession ! Détail amusant : dans les poches de l’imperméable dont hérita involontairement ce dernier, se trouvaient des marrons, dont nous sûmes plus tard qu’ils étaient sensés soulager des douleurs rhumatismales. Grâce au restaurateur, mon grand-oncle et le possesseur de l’imperméable aux marrons entrèrent en contact, se rencontrèrent quelques jours plus tard, et c’est ainsi que j’ai appris que le très poli papa aux traits antillais était un respecté professeur d’anglais au Lycée du Parc.
Une rencontre tant espérée
Il me faudra cependant patienter quelques années encore pour savoir vraiment qui était Louis-Thomas Achille : non seulement professeur d’un lycée renommé, mais encore un spécialiste des Negro spirituals et le fondateur d’une chorale réputée, le « Park Glee Club ». Je ne ferai personnellement la connaissance de l’éminent enseignant qu’au tout début des années 1980, au moment de la fondation de Radio Fourvière. En effet, le fondateur de celle-ci, le père Emmanuel Payen, nous invita l’un et l’autre à participer à l’aventure de ce média dont on connaît aujourd’hui le succès national et durable sous le nom de RCF. J’ai alors eu le bonheur de la découvrir, d’échanger avec lui autour des Spirituals et de la culture afro-américaine. J’ai pu lui partager ma propre passion, depuis mon adolescence, pour la personne de Martin Luther King. C’est ainsi que, très progressivement et très parcimonieusement tant était grande sa modestie, il me parla un peu de son expérience américaine, de son compagnonnage avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor… mais j’étais à l’époque encore trop jeune, pas suffisamment cultivé, et je n’ai pu lui poser toutes les questions que j’aimerais aujourd’hui pouvoir lui poser !
L’une des premières grandes figures noires de Lyon
Je me souviens tout particulièrement d’une émission pour Radio Fourvière que nous avons réalisée ensemble, au début des années 1990, autour du chanteur John Littleton que j’avais invité à venir chanter dans l’église Saint André de la Guillotière dont j’étais le curé. Les Spirituals l’habitaient et, d’une certaine manière, il était lui-même l’incarnation de cette musique de libération. Pour moi, il était un lien vivant avec cette musique et cette spiritualité que je chérissais tant depuis si longtemps. Aussi continue-t-il d’être l’une des précieuses présences invisibles qui m’accompagnement. Il aura été, avec Frantz Fanon, une des premières grandes figures noires de Lyon, une figure universelle lumineuse (une de « mes étoiles noires » dirait Lilian Thuram) dont nous avons besoin pour baliser les routes de notre futur.
Christian Delorme
25 juin 2018
NDLR :
- Les inter-titres sont de la rédaction du site louisthomasachille.com
- Le père Christian Delorme a concélébré la messe de funérailles de Louis Thomas ACHILLE en l’église Saint-Pothin à Lyon 6° le 16 mai 1994
J’ai été l’élève de Louis Thomas Achille en hypokhâgne au Lycée du Parc en 73/74. Donc pour sa dernière année en tant que professeur d’anglais. J’ai aussi chanté les spirituals sous sa direction enthousiaste. L’énergie parfaitement maîtrisée qui était la sienne ne nous laissait pas pressentir qu’il allait prendre sa retraite! Quel admirable maître! Alliant rigueur, élan et bonté. Sa profonde discrétion ne nous permettait pas de mesurer l’étendue de ses travaux ni la qualité et la noblesse de ses amitiés.
J’ai toujours gardé en mémoire le jour où, posant sa veste, il se métamorphosa en « King Lear » arpentant la salle de cours transformée en lande battue des vents et apostrophant la tempête. Je ne pouvais rêver plus belle découverte de Shakespeare et de la poésie anglaise. Je lui dois beaucoup , ne serait-ce que cette initiation majeure et magnifique. Il est heureux que sa mémoire soit honorée à Lyon.
Pascal Riou,
Normalien 1976,
Professeur de khâgne (H)
Ecrivain