Les trois épreuves de Louis Thomas ACHILLE

Louis Thomas ACHILLE interprétant un Negro Spiritual devant le groupe lors d'une rencontre des Compagnons de Saint-François, à la demande de l'un des cofondateurs : Joseph FOLLIET (également à l'image) - fin des années 1940 © Fonds Louis Thomas ACHILLE

Dans cet extrait d’entretien avec le père Emmanuel Payen à Lyon, enregistré en 1984 pour Radio Fourvière, Louis Thomas ACHILLE confie ce qu’ont été les trois principales épreuves de sa vie.
Aujourd’hui, la radio porte le nom de RCF. Dès les premières heures d’émission, Louis Thomas ACHILLE a produit une émission hebdomadaire de musique sacrée africaine-américaine. Il fut également le premier président de l’association, à sa création en 1982, pendant deux mandats.

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… Louis Thomas ACHILLE
…c’est d’abord (j’avais entre 20 et 32 ans) la découverte du racisme, mais le racisme aux Etats-Unis. Le racisme d’ailleurs, qui s’atténue considérablement dans l’Amérique d’aujourd’hui. Mais tout en vivant dans une société post-esclavagiste, né à l’époque encore coloniale, à la Martinique, je n’avais pas rencontré de racisme. Aux Etats-Unis, je l’ai rencontré, je l’ai découvert codifié, appliqué, dans la loi de certains états du Sud.
Même si la Constitution américaine nie le racisme et établit entre tous les hommes une égalité de naissance. Mais cette importance exagérée, disproportionnée, folle ou idiote ou imbécile, donnée à la couleur de la peau, m’a semblé absolument inacceptable, et je n’ai jamais été entamé dans ma personne par ce racisme qui visait à me transformer en sous-homme.

Emmanuel PAYEN
– Ça, c’est la première expérience qui a été douloureuse pour vous, qui vous a marqué profondément. C’est la première blessure de votre histoire. Et puis après, vous avez vécu le drame de l’Europe.

L.T.A. – Oui. L’explosion de la seconde guerre mondiale m’a été comme un coup dans les jambes, comme si un tonneau dévalait une pente m’avait frappé sur les deux tibias et m’abattait. Ça a neutralisé tout un effort vers la paix, qu’avec les jeunes étudiants, nous avions accompli dans les années 20 et 30. Et il m’a semblé que la première guerre mondiale qui avait duré 4 ans, aurait dû suffire, comme leçon, à tous les peuples qui l’avaient menée des deux côtés du Front, et de voir que ces mêmes peuples recommençaient ce genre de sport, ceci m’a fait perdre la foi en la sagesse et la puissance des chefs d’état quels qu’ils soient, qui n’ont pas su épargner à leur peuple une très grande épreuve, bien qu’ils en aient conservé le souvenir, encore très vivant.

E.P. – En fait, cette espèce de choc, de traumatisme, (vous parlez d’un tonneau qui dévale la pente et vous écrase et vous casse les jambes) vous a marqué profondément, y compris jusqu’à aujourd’hui, dans votre conscience des problèmes politiques nationaux et internationaux.

L.T.A. – Assurément. Je dirais d’ailleurs que si les peuples qui se sont battus les uns contre les autres en 14-18 et 39-45, n’ont pas recommencé, c’est tout simplement, évidemment, comme chacun sait, à cause de la peur d’une guerre nucléaire. Nous vivons sous le régime de la paix atomique. Ce n’est déjà pas si mal, car les gens, ces peuples qui n’ont pas de bombes atomiques, se font la guerre ; et ils assurent à la fois le relais de l’état de guerre à la surface de la terre, et la prospérité des industries d’armement des pays qui vivent en paix.

E.P. – Sûrement, nous aurons l’occasion de revenir sur cette expérience qui a marqué profondément votre vie.
Vous nous aviez annoncé trois blessures, trois profondes cicatrices. La troisième ?

L.T.A. – La troisième est d’ordre tellement intime qu’on hésite à en parler, mais enfin, à partir du moment où l’avis de décès de mon épouse a paru dans les journaux de la région, en pleines vacances en 1950, et bien, cet événement en somme, est devenu public. Et cela c’est le plus grand effondrement que je pouvais connaître, car, retardé dans mes projets de mariage par la guerre et par l’expatriation, je pensais pouvoir le réaliser dans la perspective du mariage chrétien, qui m’avait été révélé par l’Association du Mariage Chrétien d’Edward MONTIER, l’un de ces groupements parisiens qui invitaient les étudiants de l’époque à réfléchir sur ce que c’est que le mariage chrétien, ayant essayé de vivre cette aventure conjugale, cette entreprise de création, de procréation, et de voir que le Seigneur a permis qu’elle fût interrompue ou brisée, au bout de 3 ans, alors cela était très difficile à comprendre. Il faut surtout accepter, et si on ne comprend pas intellectuellement, il faut comprendre de façon vitale, en pensant que la mort n’est pas l’arrêt de la vie, et que, celle qui disparaît, vit sous une autre forme, et que celui qui reste doit continuer à vivre, porteur de cette cicatrice qui est en même temps, la source de nombreuses leçons.

E.P. – A cette époque, beaucoup d’amis, vous ont aidé, vous ont entouré, et, parmi eux, Joseph FOLLIET (cf. photo ci-dessus) qui vous répétait : « Il faut toujours dire « tant mieux » et puis on comprend après ».

L.T.A. – Assurément.
Celui qui a été le maître spirituel des Compagnons de Saint-François, et d’un certain nombre de jeunes chrétiens des années 20 et 30, même 40, sinon 50, cet homme aux multiples visages, cet homme si volumineux aux multiples facettes, nous a profondément marqués par un enseignement, non seulement théologique, mais encore d’implantation du christianisme dans la vie d’aujourd’hui, la vie internationale, nationale, économique, familiale, sociale, culturelle. Mais aussi une vie individuelle.
Et lorsque sur les routes de pèlerinages, les jeunes pèlerins avaient à souffrir d’ampoules aux pieds, ou de la chaleur du soleil, ou au contraire des pluies qui leur cinglaient le visage, et bien, notre meneur, notre « gardien », Joseph FOLLIET, nous disait, nous lançait :  » Tant mieux « , qui nous permettait de découvrir dans ce qui nous arrivait, quelque chose de positif, de résister et d’en sortir.

Et nous sommes absolument convaincus que d’une part, l’épreuve elle-même contient des éléments qui sont bons (tout n’est jamais entièrement bon, tout n’est jamais entièrement mauvais). Eh bien, ce qui semblait mauvais, quand on est des bons éléments, il fallait essayer de découvrir, mais surtout l’effort de volonté, l’effort de disponibilité, d’humilité qui consistait à dire « tant mieux ». On comprendra après, et bien cela c’est très important. Les problèmes se trouvaient résolus, sans qu’on ait cherché à les résoudre, mais tout simplement car on a accepté de vivre ce qui nous était proposé…

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