Témoignage collecté à l’issue de la conférence inaugurale donnée par Celeste Day Moore
à l’occasion de l’entrée au catalogue de la Bibliothèque municipale de Lyon le 16 mars 2023
de la Collection NEGRO SPIRITUALS, LYON du Fonds Louis Thomas ACHILLE
Dans mon pays, on remercie
René Char
J’ai eu le bonheur d’être l’élève de Louis T. Achille au Lycée du Parc, en hypokhâgne, lors des années 1973/74. J’ai aussi participé alors à la chorale du Park Glee Club®. Au-delà de l’entrain du chef de chœur, de la connaissance qu’il nous offrait des « spirituals », c’est au professeur d’anglais que je voudrais rendre hommage.
Une rare alliance s’opérait dans toute sa façon d’être : celle de la rigueur, donc d’une certaine distance, et d’une empathie, d’une bienveillance qui excluaient tout jugement cassant. Il faut préciser que l’estime que nous avions pour lui, la puissance de sa présence, auraient pu l’incliner à user de son charisme, à séduire. C’eût été facile. Mais tel, il ne se montra jamais. Il fut attentif à chacun mais en rien familier, ni faussement proche.
Je mesure aussi aujourd’hui la qualité de sa discrétion. Discret quant à l’étendue et à l’importance de ses amitiés, ne faisant ainsi presque jamais allusion à son amitié pour Léopold Sédar Senghor, à sa connaissance du Président Pompidou, à son travail à l’Université de Howard, muet quant à la foi chrétienne qui l’animait. Louis T. Achille mariait ainsi la passion de transmettre au « pathos de la distance » (pour reprendre une expression de Jean-Pierre Charcosset qui enseigna lui aussi dans la khâgne du Parc).
Par moments, toutefois, cette admirable réserve se fissurait et l’être profond apparaissait avec une rare puissance. C’était, certes, quand il dirigeait. La joie qui animait son visage lorsqu’il lançait les différentes voix d’« Every time I feeel the Spirit », la gravité de son visage lorsque nous chantions « They crucified my Lord », laissaient pressentir la profondeur spirituelle qui était la sienne. Mais, outre le chant, il y avait aussi ces moments, pendant ses cours, où la poésie régnait.
Coleridge, Keats, mais aussi des poètes américains du XXème siècle : Archibald Mac Leish, Wallace Stevens, étaient récité par cœur avec un phrasé magnifique.
Et puis, et puis il y eut ce jour où, ôtant la veste de son complet (son élégance toute classique était extrême), il se lança ex abrupto dans la folle et admirable apostrophe que le Roi Lear, sombrant dans la folie, adresse aux éléments déchaînés. Nous restâmes médusés ! Sidérés de découvrir à la fois le verbe shakespearien et notre si strict professeur métamorphosé en roi abandonné et tonitruant !
Bien des années plus tard, j’écrirai sur le personnage de Cordélia, puis m’attèlerai à la traduction de certaines œuvres du grand poète William S. Merwin. Je crois que ma fascination pour le King Lear et mon goût pour tenter de traduire la poésie sont nées, ont trouvé, en ce jour et en ces heures, leur source. Pour cela et pour toute son exemplarité, qu’il soit profondément remercié.
Pascal Riou
ENS Saint-Cloud 1976
Professeur de Khâgne(H)
Écrivain
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