Le Compagnon en marche avec François d’Assise

Le premier Compagnon de Saint-François noir

Pause prière 1936
Compagnons en route vers La Salette 1936
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Insigne des Compagnons de Saint-François, à l’époque de L.T. ACHILLE

En Marche

Louis Thomas ACHILLE a partagé pour la première fois la route de pèlerinage des Compagnons de Saint-François en Savoie en direction de l’abbaye de Tamié en 1930.
Cette année-là, le thème de « chapitre » (de réflexion) des Compagnons, hommes et femmes, portait sur :
« La Paix en nous-même, entre les individus, dans la famille« .
C’est au cours de ce premier pèlerinage en Savoir qu’il se liera d’amitié fraternelle avec un autre compagnon, allemand, dont c’est également la première « Route Compagnons » : Franz Stock (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).

Le mouvement catholique franco-allemand pour la paix était d’origine international. Il s’est ensuite développé dans d’autres pays européens et est devenu œcuménique.

Le pèlerin Louis Thomas ACHILLE y était connu sous le surnom fraternel de « Loulou » et pour les Negro Spirituals qu’il fait chanter sur la route et lors de « feux de joie ».

Il avait eu connaissance du jeune mouvement créé en 1927 par Joseph FOLLIET venu le présenter aux participants des Equipes sociales de Robert Garric à Paris.

Engagement

Dès sa deuxième participation (à l’été 1931) Louis Thomas s’engagera formellement chez les Compagnons de Saint-François, au cours du pèlerinage itinérant d’Echrternach à Luxembourg. Il prononcera sa « Promesse Compagnons » (texte ci-dessous), en même temps que Franz Stock :

Texte de la Promesse des Compagnons de Saint-François

Louis Thomas ACHILLE (Loulou) faisant sa Promesse Compagnon – Luxembourg – été 1931 – Photo : © Charlotte PARIS

Au cours de ce même pèlerinage dans le Grand Duché, il se liera d’amitié avec plusieurs Compagnons, dont Pierre DOMINJON, originaire de Belley (Ain), dont il épousera la sœur Paulette en 1946.

Chaque été durant ses 9 années passées aux Etats-Unis, Louis Thomas effectuait la traversée en bateau vers Europe afin de pouvoir participer aux routes de pèlerinage des Compagnons au cours desquelles il se ressourçait afin de pour pouvoir faire face à la ségrégation raciale institutionnalisée de son pays d’accueil. Son lien avec l’abbé Laurent Remillieux lui sera d’un grand secours.

S’établissant après-guerre à Lyon, après sa nomination par l’Education nationale, en septembre 1946, ce sont les Compagnons lyonnais qui l’accueilleront fraternellement et faciliteront son intégration, y compris lors de son veuvage en 1950. Il avait préalablement effectué des pèlerinages avec plusieurs d’entre eux.

Responsabilités

Louis Thomas ACHILLE ne tardera pas à prendre des responsabilités au sein du mouvement.
« Loulou » sera successivement : aujourd’hui les dénominations de certaines fonctions ont changé

    • Troubadour :
      chargé de l’animation, principalement par le chant. Il fera découvrir aux Compagnons les Negro Spirituals et interprétera avec les pèlerins de nombreuses chansons de Joseph FOLLIET
    • Chansonnier de chapitre :
      Animateur des échanges du groupe sur le thème annuel de chapitre, pendant les rencontres et tout au long de l’année
    •  Gardien :
      responsable de la communion de la « Bande » (groupe de Compagnons). « Loulou » le sera au niveau local puis national

Par ailleurs, il contribuera souvent à « L’Appel de la Route« , revue trimestrielle internationale francophone des  Compagnons de Saint-François.

Enfin, son bilinguisme le conduira à assurer très fréquemment animations et traductions, facilitant les rapports lors des activités internationales ainsi que pour les publications.

Louis T. ACHILLE a persévéré chez les Compagnons jusqu’à son décès, en mai 1994, demandant que fût inscrite, sur la stèle de sa sépulture, la mention spécifique :

deux mentions stèle LTA Loyasse ancien Lyon 5°
Cimetière de Loyasse-ancien à Lyon 5°
Photo: © Jean-Louis ACHILLE – mai 2018

Compagnon du Poverello

Pour comprendre l’influence de la spiritualité franciscaine sur cet intellectuel martiniquais, écoutons de sa bouche le lien puissant qu’il a entretenu avec le Poverello (Petit Pauvre) d’Assise, dès les années 1930 et jusqu’à sa mort :

Entretien avec Emmanuel PAYEN (1984)
pour Radio Fourvière (extrait)

E.P. – Vous me disiez, presque pour résumer cela, que quand on est Fils de Dieu, ça résout tous les problèmes. Vous vouliez parler du problème racial ?

L.T.A. – Assurément. Pour ceux qui s’interrogent sur leur identité, s’ils ont la chance ou la grâce d’être croyants, alors là, je ne dis pas que les problèmes disparaissent, mais ce qui faisait problème, continue d’exister, sans faire problème. C’est à dire qu’une fois qu’on se reconnaît Fils de Dieu, ceci donne une telle plénitude, une telle lumière, une telle puissance, que tous les autres aspects de la personnalité, sans être effacés, reprennent la place qu’ils peuvent avoir dans un ensemble harmonieux. Pour employer une comparaison, je dirais volontiers que nous pouvons nous trouver dans la conscience que nous avons de nous-mêmes, dans l’état d’un puzzle à faire ou déjà terminé. Lorsqu’on vide la boite du puzzle sur la table, tous les morceaux sont dans le désordre le plus complet. Pour le réaliser, pour les assembler, pour les encastrer les uns dans les autres, il faut avoir la vue d’ensemble. Chaque morceau n’est jamais qu’une partie d’un tout. Il faut connaître ce tout. De même manière, le croyant qui ne se concentre que sur lui-même, ne voit qu’un des éléments du puzzle ; il ne voit pas l’ensemble. Celui qui est Fils de Dieu, se voit entouré de milliards d’autres Fils de Dieu qui, avec lui et autant que lui, au même titre que lui, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, constituent le puzzle. Avec cette vision d’ensemble, chaque élément peut s’encastrer dans les autres, pour former un ensemble harmonieux où tous les problèmes sont pratiquement résolus, au moins dans la conscience individuelle.

E.P. – Ainsi pour vous, votre foi de chrétien vous a souvent aidé à dépasser ou intégrer ces différences, ces problèmes ?

L.T.A. – Dieu merci, c’est l’œuvre, je crois, du Saint Esprit, que de permettre de lire l’actualité et de vivre les épreuves de la vie en essayant d’y comprendre quelque chose. Il m’a toujours semblé, en effet, que tout ce qui se passe apporte un élément de plus pour construire un certain schéma du monde et de la vie. Ainsi donc, la foi me semble apporter une solution à tous les problèmes humains, par définition d’ailleurs ; c’est presque plus un article de foi. Le schéma christique, le schéma qu’a apporté le Christ, est la formule dans laquelle l’homme trouve son plus grand épanouissement, se comprend lui-même et comprend les autres, et comprend le monde. S’il refuse ce schéma, il tombe, j’allais dire, dans un certain désordre. Il suffit de regarder certains de nous pour le constater. Ceci ne veut pas dire que tous les chrétiens ont réalisé cet ordre parfait. Nous savons qu’en effet, il faut avoir assez d’humilité pour le reconnaître, que cet ordre parfait n’est pas totalement réalisable sur terre, nous avons suffisamment conscience de nos propres limites et des limites de tout ce qui nous entoure et nous gouverne, pour savoir que, d’aucune façon, on ne peut le réaliser sur cette terre, le royaume de Dieu dans sa totalité.

E.P. – Ainsi, le puzzle n’est jamais totalement fini, fignolé. Il reste toujours des éléments qu’il faudra placer au fur et à mesure de notre vie. Parmi les personnes qui vous ont aidé à la construction du puzzle, n’y a-t-il pas un certain François d’Assise ?

L.T.A. – Oh oui ! ce cher troubadour, ce cher fiancé de Dame Pauvreté, ce cher ami de tout ce qui est créé ? Ce cher François d’Assise que l’on fête cette année, dont depuis deux ans on n’arrête pas de fêter le 8ème centenaire ! François d’Assise a servi d’inspiration et de modèle à un groupe de jeunes chrétiens, des années 20. En 1927, trois d’entre eux, dans le sillage du Sillon catholique de Marc SANGNIER et de la « JEUNE REPUBLIQUE », trois de ces chrétiens Joseph FOLLIET, peut-être le plus doué d’entre eux, mais aussi le Père BOULIER que je tiens à nommer, qui était à l’époque jésuite, et qui a quitté la Compagnie de Jésus, et enfin un troisième homme : René Baugé qui était doué d’une belle voix de baryton, qui était un entraîneur de jeunes, ces trois amis ont voulu créer pour la jeunesse européenne, un mouvement pacifiste, ami de tous les peuples, mais aussi ami de toute la création. C’est ainsi qu’ils ont constitué un petit groupe qui s’est intitulé, très rapidement d’ailleurs, « LES COMPAGNONS DE SAINT-FRANÇOIS », car ils avaient découvert l’extrême richesse du Poverello ; et d’autre part ils avaient emprunté aux jeunes Allemands, aux mouvements de jeunesse allemande, et au scoutisme français, le principe de l’activité de plein air. Si bien que ces Compagnons de St-François ne sont eux-mêmes, que sur la route, en plein air et en marche vers un lieu de pèlerinage, un lieu de spiritualité, en France ou dans les autres pays d’Europe. Ils sont encore en vie, après plus de 50 ans d’une vie très fraternelle, d’une histoire pleine de bouleversements, car ils ont vécu la guerre, eux qui préparaient la paix par des rencontres en Allemagne, en 1931, avec des chrétiens de l’armée allemande, pour essayer de concevoir une forme de vie internationale, qui rendrait impossible le retour de la guerre type 14-18. Eh bien, ces efforts vers la paix ont été troublés par les Nazis, qui commençaient à réveiller l’Allemagne, et nous savons bien que la deuxième guerre mondiale a mis fin à toutes ces espérances.

E.P. – Donc, depuis 1927-1930, vous êtes Compagnon de Saint-François. Là, vous avez connu beaucoup d’amis, en particulier le Lyonnais Joseph FOLLIET que vous aimez particulièrement citer.

Rappelons aux auditeurs de RADIO FOURVIERE, que c'est Monsieur Louis ACHILLE qui témoigne de son itinéraire, qui témoigne pour nous, avec lui, de ce qui est essentiel.

Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une sorte de connivence entre saint François, le franciscanisme dans ses profondeurs, et son message, et puis l’antillanité du Martiniquais que vous êtes, l’Africain peut-être par vos ancêtres ?

L.T.A. – En découvrant la spiritualité de saint François d’Assise, en ayant eu quelque initiation à la spiritualité bénédictine, à la spiritualité ignacienne, à la spiritualité dominicaine, j’ai constaté qu’il y a une sorte de connivence, comme vous dîtes, une sorte d’harmonie préétablie, entre le franciscanisme et la sensibilité antillaise. Cette sensibilité est quelque chose de propre à ces îles, mais l’origine est aussi africaine. Il faudrait connaître les Africains ou interroger les Africains, pour savoir s’ils retrouvent entre leur spiritualité naturelle et celle de saint François, beaucoup de concordance. Toujours est-il qu’en découvrant non seulement la spiritualité franciscaine, mais les modes d’action et de vie des Compagnons de Saint-François, c’est à dire les pèlerinages, les marches à pied, fouler le sol de cette terre avant de se coucher dessous et dedans sous forme de cadavre, le plein air, la vie communautaire, le contact constant avec les éléments et la nature ambiante, mais aussi les villages et les villes que l’on se contente de traverser, avec lesquels on prend du recul, tout ceci m’a semblé extrêmement bienfaisant, tout ceci d’ailleurs accompagné de chants et de prières. Cette formule m’a semblé convenir à l’Antillais que j’étais, si bien que je souhaite que l’esprit franciscain soit mieux connu aux Antilles et dans les autres parties du monde qui sont habitées par des Noirs, pour bien les convaincre que saint François pourrait être le saint préféré des hommes et des femmes de race noire.

E.P. – François d’Assise était un simple, il a déteint sur vous : vous aimez chanter, François aimait chanter. On peut terminer par une chanson ?

L.T.A. – Puisque nous parlons des Compagnons de Saint-François, il est intéressant de rappeler qu’ils chantent beaucoup, et que Joseph FOLLIET, ce théologien qui était aussi chansonnier et beaucoup d’autres choses, a composé sur des airs de folklore français ou étranger, un certain nombre de chants qui sont un répertoire unique des Compagnons. Sur un air provençal, « LA COUPO SANTO », il a composé ce qui est devenu le chant international des Compagnons, qui est une invitation à prendre la route :

Couplet

COMPAGNONS, VOICI LA ROUTE 
QUI S'ELANCE VERS LE CIEL. 
EN TOI, FAIS SILENCE, ECOUTE, 
SON IMPERIEUX APPEL. 

Refrain 

ROUTE FIERE, DE LUMIERE, 
ROUTE DES FORTS, 
NOUS TE SUIVRONS JUSQU'A LA MORT, 
SAINTE ROUTE DES FORTS.

Paroles et arrangements : Joseph FOLLIET

Lire davantage :

Ce que je dois aux Compagnons de Saint-François

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